Peut-on prouver l’existence d’un contrat en l’absence d’un support écrit ?

La CNIL a publié au mois d’avril 2022 ses exigences quant à l’utilisation d’enregistrements de conversation comme moyen de preuve de l’existence d’un contrat.

Nous profitons de cette occasion pour rappeler quelles sont les règles applicables en la matière.

Un contrat est un accord de volontés qui crée des obligations entre les parties (article 1101 du Code civil). Il se forme dès la rencontre de l’offre et de son acceptation (article 1113 du Code civil). 

Le contrat sera valable si l’accord a été donné librement, sans violence et sans dol. Les parties doivent avoir la capacité de s’engager et le contenu du contrat doit être licite et certain (article 1128 du Code civil).

En principe, aucune formalité n’est exigée sauf si la loi en dispose autrement. Donc en règle générale, aucun formalisme n’est nécessaire à la formation du contrat et celui-ci peut être oral ou écrit.  Il est donc possible d’invoquer l’existence d’un contrat sur la base d’échanges informels et de conversations.

Le problème sera alors d’apporter la preuve de l’existence d’un tel contrat pour la partie qui souhaiterait en forcer l’exécution.

Or, les éléments de preuves devront respecter un certain nombre d’exigences pour pouvoir être admissibles. 

Conditions de licéité de la preuve

Il revient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de prouver son existence (art 1353 Code civil). D’après l’article 1358 du Code civil, la preuve d’une obligation peut être apportée par tout moyen sauf si la loi en dispose autrement.

Cependant, une preuve doit respecter certains critères :

  • La preuve doit respecter le principe de loyauté ce qui signifie qu’elle doit avoir été obtenue sans fraude, à l’exclusion de tout procédé trompeur et en permettant à la partie adverse d’organiser sa défense.
  • La preuve doit respecter le principe du droit au respect de la vie privée ce qui signifie notamment que la preuve ne doit pas résulter d’un enregistrement, d’une capture ou d’une transmission de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement préalable de la personne concernée, sous peine d’être sanctionné pénalement par 1 an d’emprisonnement et 45000 euros d’amende.
  • Enfin, la preuve doit avoir une force probante suffisante. Il s’agit de la valeur que le juge donnera à la preuve pour prouver la situation alléguée. Le juge peut se fonder sur toutes les pièces du dossier à sa disposition.

 

Différents moyens de preuve sont admissibles mais tous n’ont pas la même force probante :  

  • Les actes authentiques sont des actes accomplis par des officiers publics ou ministériels et sont des moyens de preuve écrite. C’est l’un des meilleurs moyens de preuve car il est difficilement contestable. Plus libre, l’acte sous seing privé est un acte écrit par les parties ou un tiers, sans formalisme particulier si ce n’est qu’il doit être signé. 
  • Le témoignage est un autre moyen de preuve qui peut être utilisé mais il faut pour cela qu’un tiers ait assisté à la conclusion du contrat, ce qui ne sera pas toujours le cas, notamment pour des sujets sensibles ou pour des contrats conclus par téléphone. 
  • Il peut aussi exister des preuves par indices. Il s’agit par exemple de déclarations de personnes qui ne sont pas des témoins (personnes n’ayant pas la capacité juridique). Mais l’attitude d’une des parties peut aussi avoir une influence comme le refus d’effectuer des expertises, l’absence d’une des parties à l’audience.

 

Il ne s’agit en aucun cas d’une liste limitative mais seulement des principaux moyens de preuve. 

La force de ces preuves devra être évaluée par le juge et parmi les moyens de preuve énumérés ci-dessus, seul le témoignage, la déclaration des tiers et l’attitude d’une des parties pourraient être utilisés pour prouver la formation d’un contrat oral. Celles-ci ont une force probante assez faible par rapport aux preuves écrites et il n’existe donc pas de preuve conventionnelle réellement efficace pour prouver la formation d’un contrat oral.

L’enregistrement des conversations téléphoniques comme moyen de preuve

La position des juridictions

La jurisprudence rappelle de manière constante le principe susvisé de licéité de la preuve.

Concernant plus particulièrement les enregistrements de conversations téléphoniques comme moyen de preuve, on soulignera la décision de la Cour de cassation rendue en 2004 qui précise que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (Cass., 2ème civ., 7 octobre 2004, n° 03-12653). 

Ainsi, l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée peut être un moyen de preuve licite s’il a été préalablement consenti par la personne concernée.

La position de la CNIL 

La CNIL a publié ces dernières années plusieurs avis à propos des enregistrements téléphoniques comme moyen de preuve. 

En juillet 2018, 2 mois après la mise en place du RGPD, la CNIL indique que l’enregistrement téléphonique est possible s’il est d’une nécessité reconnue et proportionné aux objectifs poursuivis même pour prouver la formation d’un contrat dans des cas limités prévues par un texte légal. Mais il ne serait pas possible d’effectuer un enregistrement systématique et permanent sauf si un texte le prévoit.

Les personnes enregistrées doivent faire l’objet d’une information détaillée préalablement à l’enregistrement sur les modalités de l’enregistrement et sur l’exercice de leurs droits en début de conversation, et sont informées qu’elles peuvent s’opposer à cet enregistrement.

En septembre 2019, la CNIL indique que la combinaison d’enregistrement téléphoniques avec l’image (capture d’écran ou vidéo) est disproportionnée si elle est utilisée à d’autres fins que la formation.

Plus récemment, en avril 2022, la CNIL se prononce spécifiquement sur la possibilité, au regard des règles applicables en matière de protection des données personnelles, de se prévaloir d’un enregistrement comme moyen de preuve de l’existence d’un contrat. La CNIL reconnaît un tel droit sous réserve que (i) la formation d’un contrat ne peut être prouvé par un autre moyen, (ii) l’enregistrement est proportionné et strictement nécessaire à la finalité de preuve poursuivie, (iii) l’enregistrement n’est pas permanent et systématique.

Sur ce dernier point, la CNIL souligne que : « Seules les conversations portant sur la conclusion d’un contrat par voie téléphonique peuvent être enregistrées. Le professionnel devra ainsi prévoir des mécanismes afin de n’enregistrer la conversation téléphonique entre le téléopérateur et le consommateur qu’à partir du moment où son objet porte clairement sur la conclusion d’un contrat. La partie pertinente de la conversation ne peut être conservée qu’en l’absence d’une autre modalité de preuve de la formation du contrat ou de son exécution, telle qu’une confirmation écrite. » 

Plusieurs conditions sont posées par la CNIL notamment une information complète des personnes sur l’enregistrement ainsi que sur les modalités alternatives de formation du contrat. Elle conseille de fournir une information succincte oralement en début de la conversation puis de renvoyer la personne vers un descriptif plus détaillé sur un site internet. 

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Pour conclure, il est possible de rapporter la preuve de l’existence d’un contrat même en l’absence de support écrit dès lors que les moyens de preuve invoqués à l’appui remplissent les critères de licéité fixés par la jurisprudence, ainsi que les conditions énoncées par la CNIL en ce qui concerne l’utilisation d’enregistrement de conversations privées à des fins probatoires.

Marie-Amélie Eudeline / Anastasia Yakusheva

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